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ZACHARY Dominique, 14-18. Quatre ans cachés dans le grenier (par P. Salson)

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Dominique ZACHARY, 14-18. Quatre ans cachés dans le grenier, Paris, éditions Jacob-Duvernet, 2013, 213 p ;

La grande vague éditoriale sur la Grande Guerre de l’automne dernier, anticipant déjà sur la frénésie du Centenaire, a autant concerné les grandes maisons d’édition que des maisons plus spécialisées, les maisons parisiennes que les petits éditeurs locaux. La preuve en est ici encore donnée. On peut vite se sentir submergé par un tel flot, avec une production qui n’est pas toujours très originale et novatrice. Il est cependant probable que, comme ce fut le cas lors des précédents anniversaires (en particulier en 1998 et entre 2004 et 2008), des documents inédits aient accès, à cette occasion, à l’édition.

Le récit par le journaliste belge Dominique Zachary de l’aventure de deux soldats français cachés dans un village de la Lorraine occupée laissait croire qu’un nouveau témoignage rare avait été exhumé : celui d’un de ces militaires qui se sont retrouvés dépassés par l’avancée allemande à l’automne 1914, éparpillés derrière le front, incapables de retrouver leur régiment d’origine. Mais, croyant que la guerre serait courte, ils ont refusé de se constituer prisonniers et ont vécu pendant des semaines, des mois et parfois des années, cachés au milieu de la population civile[1]. La quatrième de couverture de l’ouvrage nous apprend ainsi qu’un des deux soldats dont Dominique Zachary suit la trace, « a retranscrit au jour le jour dans un carnet son ressenti ainsi que les échos de son village ».

Or, ce carnet n’est pas l’objet de la publication présente, le journaliste se contentant de n’en citer que quelques extraits pour retranscrire l’itinéraire dans la guerre de deux hommes : Alfred Richy, cultivateur, et Camille Muller, bourrelier, tout deux âgés de 22 ans et mobilisés au sein du 164e R.I. Après la reddition de Longwy, les deux soldats se réfugient 10 kilomètres plus au sud, à Baslieux, dans le grenier de la maison familiale des Richy. Les deux hommes ont vécu là, cachés derrière un grand fagot de bois, pendant 1 526 jours, souffrant de chaleur l’été, de froid l’hiver, de faim à cause des pénuries et, par-dessus tout, souffrant d’un ennui de plus en plus mortifère. Camille Muller parvient à s’occuper en réparant chaussures et pantoufles pour les habitants de la maisonnée tandis qu’Alfred Richy fait de la farine grossière avec un moulin à café, lit le journal puis entreprend de rédiger son carnet à partir de 1916. Camille Muller est présenté comme plus hardi que son camarade davantage porté à la mélancolie. Il s’accorderait ainsi quelques escapades nocturnes pour voler du blé ou des pommes de terre. Il parviendrait même à communiquer avec ses parents en laissant un mot sur la tombe de son frère décédé avant-guerre.

Tous ces détails sur la vie quotidienne, sur la longue durée, de soldats cachés sont précieux car très rares. Ils ne sont, hélas, rendus que de manière indirecte, par l’intermédiaire d’un narrateur omniprésent. C’est lui qui traduit ou imagine les pensées des deux hommes, leurs dialogues et leurs convictions profondes si bien que l’on ne sait jamais qui parle : Alfred Richy ou Dominique Zachary. L’auteur entretient le flou sur la nature de ce qui est écrit : il invente des dialogues, intervient sans cesse dans le récit pour justifier l’attitude des hommes et fait de longs développements sur le déroulement de la guerre. Ce n’est ni un roman, ni une enquête journalistique, ni tout à fait un récit historique.

De manière incessante, il se fait l’avocat des deux hommes pour convaincre le lecteur de leur sincérité patriotique : s’ils restent cachés, c’est pour reprendre la lutte dès que cela sera possible (p. 11, 70, 103, 179-182). L’intention de l’auteur est d’ailleurs clairement exposée à la fin de l’ouvrage : « En quoi Alfred et Camille ne pourraient-ils être considérés comme des héros eux aussi ? Il leur en a fallu beaucoup, du courage, de la bravoure, de la persévérance, pour tenir 1 526 jours dans un silence absolu [...] » (p. 180). L’entreprise se veut donc une réhabilitation des deux hommes.

Ce souci de l’héroïsme rejoint un autre impératif que le journaliste assigne à son travail, celui d’un « devoir de mémoire envers tous ces hommes de l’ombre qui se sont battus pour nos libertés » (p. 197). Dès lors, l’expérience de la guerre des deux soldats non-combattants sert souvent de prétexte pour évoquer des événements plus militaires que semblent affectionner l’auteur parce qu’ils s’inscrivent dans un grand récit héroïque de la guerre : le siège de Longwy, la bataille de Verdun ou les offensives de 1918. Quant à la vie dans le village occupé, elle est tracée à très gros traits à partir des ordres allemands et des amendes infligées aux habitants et que retranscrit Alfred Richy. C’est donc l’image stéréotypée d’un occupant omnipotent et d’un occupé impuissant que l’on retrouve ici comme dans de nombreux récits publiés après-guerre[2]. Finalement, un tel récit de guerre fait l’impasse sur plusieurs décennies de recherche et de débats historiographiques. Et ce n’est pas la préface de Jean-Yves Le Naour qui fait cette mise au point scientifique ; l’historien, en reprenant les poncifs sur l’élan patriotique de 1914, enfonce au contraire le clou : « Eux aussi, comme les poilus dans les tranchées, nous surprennent par leur ténacité et leur détermination. Alfred et Camille ont bien fait la guerre et ils l’ont gagnée » (p. 9).

Cette omniprésence des commentaires patriotiques finit par rendre totalement inaudible la voix d’Alfred Richy. L’enquête journalistique qu’a menée – de manière approfondie – Dominique Zachary auprès de la famille des soldats, aurait été mieux valorisée si elle avait servi à contextualiser et cerner la portée historique du témoignage, si finalement l’ouvrage s’était contenté de restituer le témoignage du soldat. Ici, la parole du témoin paraît confisquée au profit d’un narrateur qui l’utilise au profit d’une leçon de morale patriotique.

Philippe Salson

N.B. cette recension a été soumise à l’auteur de l’ouvrage, qui précise les points suivants:

Je suis journaliste professionnel depuis un peu plus de vingt-cinq ans, ce livre sur les poilus de Lorraine est mon 6e ouvrage et jusqu’à présent, à l’une ou l’autre exception près, mes livres ont toujours connu un beau succès auprès des lecteurs et lectrices et ont fait l’objet de commentaires positifs dans la plupart des médias.
Je ne prétends pas ne jamais commettre d’erreur, mais je suis réputé dans mon milieu professionnel pour être assez objectif et rigoureux (toujours recouper ses sources!). Mon livre historique « Marie-Antoinette. La fuite en Belgique » par exemple, publié en 2001, avait été salué par les historiens spécialisés du XVIIIe que sont Evelyne Lever et Jean-Christian Petitfils (ce dernier me cite même en note dans sa fameuse biographie sur Louis XVI). Et en 2011, j’avais été invité à Paris dans l’émission historique de Frank Ferrand sur Europe 1 pour la présentation de mon livre sur Marie-Antoinette, ce qui est tout de même gage de reconnaissance pour mon travail.

Alors, pour ce qui concerne cette histoire des 2 poilus de Lorraine française cachés de 1914 à 1918 dans le grenier familial de Baslieux, je crois qu’il y a un quiproquo au départ, que vous ignorez. Le carnet de notes d’Alfred Richy que j’ai utilisé en partie comme fil conducteur de mon récit était aux 3/4 inexploitable car truffé d’anecdotes et précisions inintéressantes sur les travaux des champs, les petites mesquineries imposées par l’occupant allemand, etc.
J’ai repris des extraits du carnet  de notes d’Alfred Richy qui me semblaient les plus pertinentes, tout en mettant bien les guillemets et en précisant bien qu’il s’agissait des commentaires d’Alfred Richy. Jamais il n’y a eu de confusion entre moi-même, le narrateur, et Alfred, le témoin que je cite abondamment. Je n’ai jamais « confisqué » la parole du témoin.
Il eût été totalement inintéressant pour le lecteur que je reprenne tel quel le carnet de notes en le contextualisant, en m’en distanciant. Bref, « en me contentant de restituer le témoignage du soldat Richy » comme vous me le suggérez à la fin de votre courriel. Les lecteurs se seraient très vite lassés de ce procédé. Plusieurs personnes qui ont relu mon manuscrit ainsi que mon éditeur étions tous d’accord à ce propos.
M. Salson, vous citez en référence le livre « La fille de l’Anglais » aux éditions de l’Archipel et votre propre thèse de doctorat qui ont sûrement utilisé une autre méthodologie et sont des travaux de qualité, mais de mon côté je ne pouvais pratiquer ainsi.

Je suis aussi surpris quand vous parlez d’une « leçon de morale patriotique ». Ce thème est au coeur du livre. C’est pourtant bien là que réside la question principale: Alfred et Camille ont été très critiqués en 1919 et 1920 au lendemain de la guerre parce qu’ils avaient eu la vie sauve et n’avaient pas combattu.
Je pense que 100 ans plus tard, on peut remettre les pendules à l’oeuvre et dire en quoi ces deux soldats ont mérité eux aussi les hommages. La névrose et les bouffées d’angoisse qu’ils ont connues bien après la guerre  (surtout chez le poilu Camille Muller) démontrent d’ailleurs qu’ils ont connu des conditions de vie très éprouvantes dans leur grenier. C’est surtout en fin de mon ouvrage que je décris cet « élan patriotique » comme vous dites.

Vous parlez de « dialogues inventés »? Il n’y en a que deux ou trois dialogues non inventés, mais créés d’après le contexte et ce que m’ont rapporté les villageois et les descendants des deux poilus pour rendre le récit plus vivant et lui donner un peu de chair et de consistance (notamment quand les 2 poilus décident de ne pas prendre le risque de sortir de Baslieux (p. 70) ou la fillette qui veut porter ses chaussures chez le cordonnier du village, le Buif.


[1] Sur le même thème des soldats cachés, on renverra à la lecture d’un roman-enquête fondé sur un travail archivistique sérieux : Ben MACINTYRE, La Fille de l’Anglais, Editions de l’Archipel, 2003, 331 p. Sur la traque dont font l’objet ces soldats, voir également notre travail : Philippe SALSON, 1914-1918 : les années grises. L’expérience des civils dans l’Aisne occupée, thèse de doctorat sous la direction de Frédéric ROUSSEAU, Université Montpellier III, 2013, p. 99-115.

[2] Voir par exemple les récits édifiants d’Henriette CÉLARIÉ, de Pierre NOTHOMB ou de Maurice THIÉRY.

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